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Chapter 4 - Les Murmures de l’Ombre

Le chaos qui suivit l’incident de la guillotine fut une symphonie pour Ares. La foule, désorientée par la lame bloquée et les murmures de sorcellerie, s’était dispersée dans un mélange de panique et de fascination. Le Haut Magistrat Voryn, rouge de colère, avait ordonné aux gardes de fouiller la place, mais Mira, profitant de la confusion, avait glissé hors de ses chaînes enchantées – probablement aidée par un sort mal exécuté par un garde inexpérimenté. Ares l’avait senti immédiatement, son essence perçant le voile de la réalité pour repérer la jeune fille alors qu’elle s’évanouissait dans les ruelles sombres de Lunareth.

Maligne, la petite, pensa Ares, un sourire narquois étirant ses lèvres humaines. Mais elle ne peut pas m’échapper. Ses yeux gris, scintillant d’une lueur à peine perceptible, balayèrent la ville depuis le balcon où il se tenait. Il n’avait pas besoin de courir ou de chercher comme un mortel. Une simple pensée, et il pouvait sentir l’écho de l’énergie de Mira, un mélange de peur, de défi, et d’une étrange pulsation qu’il ne parvenait pas encore à identifier. Quelque chose en elle… Ce n’est pas juste une gamine.

« Tu comptes rester là à regarder dans le vide, ou tu vas faire quelque chose ? » lança Lyra, qui venait de surgir à ses côtés, essoufflée. Ses cheveux roux étaient en désordre, et ses yeux verts brillaient d’une intensité qui trahissait son inquiétude. « Mira s’est enfuie, mais Voryn va la traquer comme un chien. »

Ares haussa un sourcil, feignant l’indifférence. « Et pourquoi je devrais m’en soucier, Lyra ? J’ai déjà gâché mon après-midi en sabotant leur petit spectacle. Ça ne te suffit pas ? »

Lyra croisa les bras, le fixant avec un mélange d’exaspération et de défi. « Arrête de jouer les cyniques. Tu l’as sauvée pour une raison. T’es pas juste un voyageur qui passe par là, Ares. Je le sens. »

Perspicace, encore, pensa-t-il, amusé. Elle pourrait devenir un problème… ou une alliée. « Disons que j’aime les énigmes. Et cette gamine en est une. Maintenant, si tu veux bien m’excuser, j’ai une fugitive à trouver. »

Sans attendre sa réponse, Ares s’évanouit dans l’ombre, son corps humain se dissolvant momentanément pour se reformer dans une ruelle étroite à l’autre bout de Lunareth. L’air sentait l’humidité et le pain frais d’une boulangerie proche, mais il y avait aussi une trace de magie, ténue, comme un fil d’araignée. Mira, songea-t-il, suivant l’écho.

Il la trouva cachée dans une cave abandonnée, sous une pile de caisses couvertes de toiles d’araignées. Mira était recroquevillée, ses cheveux bruns collés à son visage par la sueur, ses yeux bleus écarquillés de terreur lorsqu’elle vit la silhouette d’Ares émerger de l’obscurité. Sa tunique noire aux motifs argentés semblait presque luire dans la pénombre, et son regard perçant la cloua sur place.

« Non ! » s’écria-t-elle, brandissant un éclat de verre brisé comme une arme dérisoire. « Reste loin de moi ! T’es avec Voryn, c’est ça ? Il t’a envoyé pour me tuer ! »

Ares éclata de rire, un son grave qui résonna dans la cave. « Avec Voryn ? Oh, gamine, tu me vexes. Ce type a autant de charisme qu’une brique enchantée. » Il s’accroupit à quelques pas d’elle, son sourire narquois masquant une curiosité croissante. « Si j’avais voulu te tuer, tu serais déjà en cendres. Alors, baisse ton… arme, et explique-moi pourquoi tu penses que je suis un sbire de ce magistrat à la noix. »

Mira hésita, son souffle rapide trahissant sa panique. Mais il y avait dans ses yeux cette même lueur de défi qu’Ares avait remarquée sur l’estrade. « T’es pas normal », dit-elle, la voix tremblante mais ferme. « J’ai senti… quelque chose quand t’étais là-haut. Comme si… comme si t’étais pas d’ici. »

Ares haussa un sourcil, impressionné malgré lui. Elle perçoit mon essence ? Intéressant. « Pas mal, pour une mortelle. Mais tu te trompes sur un point : je ne suis pas là pour te faire du mal. Pas encore, du moins. » Il se redressa, croisant les bras. « Pourquoi Voryn veut ta tête ? Et ne me mens pas, gamine. J’ai un don pour repérer les mensonges. »

Mira serra son éclat de verre plus fort, mais ses épaules s’affaissèrent légèrement. « Je… j’ai trouvé quelque chose. Un objet. Dans les ruines près de la forêt. Un genre de… pierre noire, qui brillait bizarrement. J’ai juste voulu le montrer à quelqu’un, un étranger qui disait qu’il étudiait les vieux artefacts. Mais après, les gardes m’ont arrêtée, et Voryn a dit que j’avais vendu des secrets aux Seigneurs de l’Ombre. C’est faux ! »

Ares sentit un frisson, pas de peur – il ne connaissait pas cela – mais d’excitation. Une pierre noire, brillante d’une énergie étrange ? Cela ne ressemblait à rien de ce monde primitif. Un fragment du multivers, peut-être ? Ou quelque chose de plus… dangereux. « Où est cette pierre maintenant ? » demanda-t-il, son ton soudain plus sérieux.

Mira recula, méfiante. « Pourquoi tu veux savoir ? T’es qui, toi, d’abord ? »

Ares soupira théâtralement. « Moi ? Juste un voyageur avec un penchant pour les mystères. Et toi, Mira, t’es une gamine qui a mis le nez dans quelque chose de bien plus gros qu’elle. Alors, on peut faire un marché : tu me dis où est cette pierre, et je t’empêche de finir en repas pour les corbeaux de Voryn. »

Elle le fixa, partagée entre la peur et l’espoir. Finalement, elle murmura : « Elle est cachée. Dans la forêt, près des ruines. Mais si tu travailles pour lui… »

« Oh, par pitié », coupa Ares, levant les yeux au ciel. « Si j’étais avec Voryn, je t’aurais déjà livrée, emballée avec un ruban. Allez, viens. On va chercher ton caillou avant que les gardes ne te trouvent. »

Dans la Forêt de Lunareth

Ares et Mira se glissèrent hors de la ville sous le couvert de la nuit, évitant les patrouilles de gardes qui fouillaient Lunareth à la recherche de la fugitive. La forêt, dense et baignée d’une lueur argentée par les lunes jumelles, vibrait d’une magie ancienne. Des lucioles enchantées dansaient dans l’air, et les arbres semblaient murmurer des secrets oubliés. Ares, toujours sous son apparence humaine, marchait avec une assurance nonchalante, tandis que Mira suivait, jetant des regards nerveux autour d’elle.

Elle a peur, mais elle avance, pensa-t-il. Du cran, décidément. « Alors, gamine, cet étranger à qui tu as montré la pierre… il ressemblait à quoi ? »

Mira fronça les sourcils, essayant de se souvenir. « Grand. Pâle. Des yeux… bizarres, comme s’ils changeaient de couleur. Il parlait doucement, mais… c’était comme s’il voyait à travers moi. »

Ares s’arrêta net, son esprit s’emballant. Un observateur du multivers ? Ou quelque chose de pire ? Il garda son expression neutre. « Intéressant. Et il t’a dit quoi, exactement ? »

« Juste qu’il cherchait des objets anciens. Il a dit que la pierre pouvait… je sais pas, ‘réveiller quelque chose’. J’ai cru qu’il parlait d’un trésor ou d’un sort. »

Ares ricana, mais intérieurement, il était en alerte. Réveiller quelque chose. Ça sent les ennuis cosmiques. « Tu as un don pour t’attirer des problèmes, Mira. »

Ils atteignirent une clairière où des ruines de pierre, couvertes de mousse et de runes effacées, s’élevaient comme les os d’un géant oublié. Mira s’agenouilla près d’un autel brisé et dégagea une dalle, révélant une cachette. À l’intérieur, une pierre noire, de la taille d’un poing, pulsait d’une lumière étrange, comme un cœur battant dans le vide.

Ares sentit une énergie familière, mais inquiétante. Ce n’est pas de ce monde. Ni même de cette réalité. Il tendit la main, mais Mira l’arrêta. « Attends ! Elle… elle m’a parlé, une fois. Dans ma tête. »

Ares haussa un sourcil. « Parlé ? Qu’est-ce qu’elle t’a dit ? »

Mira déglutit, ses yeux pleins de crainte. « Elle a dit… ‘Tout finira dans l’ombre.’ »

Pour la première fois depuis des siècles, Ares sentit un frisson d’incertitude. L’ombre. Ça ne peut pas être une coïncidence. Il fixa la pierre, son esprit s’ouvrant aux courants du multivers. Quelque chose, quelque part, observait. Quelque chose d’aussi puissant que lui.

« Bien joué, gamine », dit-il, masquant son trouble sous un sourire. « On dirait qu’on a trouvé un jouet très intéressant. »

La clairière, baignée par la lueur argentée des lunes jumelles de Lunareth, semblait retenir son souffle. Ares fixait la pierre noire dans la main tremblante de Mira, ses yeux gris scintillant d’une lueur calculatrice. L’objet pulsait d’une énergie qui n’appartenait pas à ce monde – une vibration qui résonnait avec les courants du multivers, mais teintée d’une menace qu’il ne pouvait ignorer. Tout finira dans l’ombre, avait dit Mira. Ces mots tournaient dans son esprit, éveillant une méfiance qu’il n’avait pas ressentie depuis son bannissement.

Quelque chose me regarde, pensa-t-il, ses sens cosmiques sondant l’invisible. Ce n’était pas seulement la pierre. Une présence, lointaine mais immense, effleurait les bords de sa conscience, comme un prédateur observant sa proie depuis l’autre côté d’un voile. Pas encore, se dit-il, refoulant cette sensation. Pour l’instant, je joue sur ce petit échiquier terrestre.

Mira, toujours méfiante, serra la pierre contre elle. « Tu vas me la prendre, c’est ça ? » demanda-t-elle, sa voix oscillant entre défi et peur. « Je te fais pas confiance, Ares. T’es trop… bizarre. »

Ares éclata de rire, un son grave qui fit sursauter les lucioles enchantées autour d’eux. « Bizarre ? Gamine, tu tiens une pierre qui parle dans ta tête, et c’est moi qui suis bizarre ? » Il s’appuya contre une colonne de pierre effritée, feignant la nonchalance. « Écoute, Mira, je pourrais prendre ce caillou en un claquement de doigts. Mais je suis curieux. Qu’est-ce que tu comptes en faire ? »

Elle hésita, ses yeux bleus scrutant son visage humain. « Je… je veux prouver que je suis pas une traîtresse. Si je trouve à quoi sert cette pierre, peut-être que le Conseil me laissera tranquille. »

Ares haussa un sourcil. « Le Conseil ? Tu parles de Voryn et sa bande de bureaucrates en robes tape-à-l’œil ? Bonne chance avec ça. Ils veulent ta tête pour faire un exemple, pas pour écouter tes excuses. »

Mira baissa les yeux, ses doigts serrant la pierre si fort que ses jointures blanchirent. « Alors quoi ? Je dois fuir pour toujours ? »

Elle est têtue. J’aime ça, pensa Ares. « Pas forcément. Mais si tu veux survivre, tu vas devoir être plus maligne que Voryn. Et ça, gamine, ça demande un plan. Heureusement pour toi, je suis un expert en plans tordus. »

Avant que Mira ne puisse répondre, un craquement résonna dans la forêt. Ares se redressa, ses sens en alerte. Des ombres bougèrent entre les arbres, et le scintillement d’armures enchantées trahit l’approche de gardes. Ils sont rapides, songea-t-il, un sourire narquois se formant. Voryn ne perd pas de temps.

« Cache-toi », ordonna-t-il à Mira, qui se glissa derrière l’autel en un éclair. Ares, toujours sous son apparence humaine, s’avança dans la clairière, les mains dans les poches, l’air désinvolte.

Cinq gardes émergèrent, leurs lances ornées de runes luisantes pointées sur lui. Leur chef, une femme à la carrure imposante et au visage marqué d’une cicatrice, aboya : « Toi ! Identifie-toi ! Cette zone est sous contrôle du Conseil. Où est la fugitive ? »

Ares inclina la tête, son sourire s’élargissant. « Moi ? Juste un promeneur nocturne. Superbe forêt, d’ailleurs. Très… feuillue. Quant à votre fugitive, désolé, je ne collectionne pas les gamines en fuite. »

La garde plissa les yeux, peu amusée. « Ne joue pas au malin. On sait qu’elle est venue ici. Rends-la, ou on t’arrête pour complicité. »

Ares ricana. « Complicité ? Oh, j’adore quand les mortels se prennent pour des juges cosmiques. » Il leva une main, et une vague d’énergie subtile, invisible pour les gardes, fit trembler leurs lances, les rendant inutilisables. « Vous devriez vérifier vos armes avant de menacer quelqu’un. On sait jamais qui on pourrait croiser. »

Les gardes reculèrent, confus, essayant de brandir leurs lances qui vibraient étrangement. La cheffe, furieuse, dégaina une épée courte. « Sorcier ! Tu travailles pour les Seigneurs de l’Ombre ! »

Ares soupira théâtralement. « Les Seigneurs de l’Ombre, encore ? Vous êtes tous obsédés par ces types. Dites-moi, ils portent des capes noires et des airs sinistres, ou c’est juste un club de méchants génériques ? »

Avant que la situation ne dégénère, une voix familière retentit. « Ares ! Arrête de jouer avec eux ! » Lyra surgit de la forêt, accompagnée de Kael, qui portait une hache massive enchantée d’un éclat bleuté. La serveuse lança un regard exaspéré à Ares. « T’es censé aider Mira, pas déclencher une bagarre ! »

Ares haussa les épaules. « Moi ? Je ne fais que discuter. Ce sont eux qui manquent d’humour. »

Kael grogna, s’interposant entre Ares et les gardes. « Capitaine Serna, rentrez à Lunareth. Cet homme est avec moi. On cherche pas les ennuis. »

La cheffe, Serna, fixa Kael, puis Ares, visiblement partagée. « Kael, tu joues un jeu dangereux. Si le Conseil apprend que tu protèges des traîtres… »

« Je protège personne », coupa Kael, son ton ferme. « Mais je vais pas laisser des accusations sans preuves détruire une gamine. Rentrez, ou c’est moi qui vous ramène en morceaux. »

Serna hésita, puis fit un signe à ses gardes. « On se reverra », lança-t-elle avant de disparaître dans les ombres.

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